• Il n'est pas plus facile pour un homme...

    La domination masculine a un prix, très lourd, pour les hommes.

     

    « Quoi de neuf chez les filles » se demandent les sociologues C. Baudelot et R. Establet.  La réponse est une description contradictoire de leur place dans notre société. Alors même que les préjugés qui les décrètent inférieures aux garçons dans le domaine de l’esprit, de la créativité, de l’audace – bref, de l’initiative – sont démentis par la meilleure réussite scolaire des filles, ils continuent à justifier une inégalité foncière de leurs statuts, professionnel et familial.  

    Les auteurs démontrent ainsi que « l’inégalité naturelle » ne résiste pas à « l’épreuve des faits » et cherchent à comprendre comment se perpétue l’assignation du rôle social en fonction du sexe.

    Il se posent alors la question de savoir si ces modèles d’identités sexuelles (filles/garçons) sont imposés ou assumés.

    « On s’est progressivement aperçu qu’avant d’être une connaissance  [par la découverte de sa propre anatomie], l’identité sexuée était en fait une croyance imposée au bébé puis à l’enfant par l’entourage et l’environnement.   Le bébé ne sait pas en naissant qu’il est un garçon ou une fille ; il l’apprend (…) C’est en déchiffrant progressivement les messages que lui délivrent son entourage et en testant les bonnes et les mauvaises réponses aux attentes dont il est l’objet que le bébé, puis l’enfant, se forge une identité de genre. »

    Mais « à tous les stades de leur développement, les enfants participent activement à la construction de ce que signifie pour eux-mêmes « être un garçon » ou « être une fille. »

    Parce que « la construction de l’identité de genre est fondamentale dans la construction de la personnalité tout court. Le sexe est, avec l’âge, la première catégorie sociale utilisée par l’enfant pour comprendre le monde qui l’entoure et la place qu’il y occupe. »

    Disons que sur les questions de genre, on pourrait qualifier ces deux auteurs de réformistes, si on compare leurs conclusions à celles plus révolutionnaires des « gender studies », ou au militantisme subversif de la « queer theory. »

     « Si encombrée qu’elle puisse être aujourd’hui de stéréotypes renvoyant à une représentation conservatrice et réactionnaire des rapports entre les sexes, l’identité de genre ne saurait se réduire à un vestige antique, pouvant être remplacé dans un avenir proche par un principe unisexe d’ identité. Car l’identité de genre est un organisateur central de la personnalité, une dimension fondamentale de la vie. »

    L’essentiel pour eux reposant dans la lutte contre l’équation sociale et culturelle qui veut que différences sexuelles signifie inégalités professionnelles et familiales. On peut à bon droit leur objecter que barrer cette équation implique de toucher radicalement à ces « représentations conservatrices et réactionnaires des rapports entre les sexes » ou risque de ne rester qu’un vœu pieux. Mais les sociologues, tout occupés qu’ils sont à décrire leur objet avec exactitude, n’inscrivent pas dans leur travail le programme de ses transformations. Ils restent en deçà du geste politique.

    L’intérêt du livre réside dans la quantité et la diversité d’études et de données qu’il synthétise. Mais aussi dans la situation paradoxale qu’il pointe en creux : celle des garçons.

    On retient que, relativement à l’éducation des filles et des garçons, l’évolution des parents vis-à-vis des représentations traditionnelles concerne davantage les représentations elles-mêmes que la réalité des pratiques.

    1) Les jouets. Si on encourage souvent les filles à jouer avec des jouets de garçon, « les garçons s’aventurant sur le terrain de jeux des filles essuient aussitôt des reproches et des sarcasmes de leur entourage. »

    2) Les loisirs. Il n’est donc pas étonnant de constater que pour les loisirs, « les filles s’aventurent plus en territoire masculin que les garçons chez les filles. »

    Quant aux loisirs plébiscités par les collégiens, il s’agirait de l’informatique, du sport et du foot pour les garçons et des activités artistiques, du sport (autre que le foot) et les relations sociales chez les filles.

    On constate aussi dans le tableau qui répartit les activités dans les aires de la prédominance masculine ou féminine, qu’on trouve aux extrêmes le jardinage et le foot chez les garçons et l’écriture et la couture chez les filles.

    3) De manière générale, les garçons ont plus de liberté que les filles. Mais « la culture « libre » offerte aux garçons met l’accent sur l’héroïsme, la violence et la démonstration de force : toutes valeurs qui les dotent d’un arsenal anti-scolaire. »

    Cette « culture libre » des garçons expliquerait ainsi leur surreprésentation dans l’échec scolaire mais aussi leur prédominance en matière de délinquance juvénile.

    Ce constat légitime aux yeux des auteurs la question posée en une  du Monde de l’Education : Faut-il sauver les garçons ?

    Les filles semblent bénéficier de certains avantages sur les garçons dans la construction de leur identité de genre qui se traduisent par leur meilleure réussite scolaire, celle-ci n’étant pas seulement imputable à leur plus grande docilité, ou à une sollicitude plus « inquiète » des parents.

    Dans la mesure où, selon B et E, « la construction  de l’identité relève davantage de la mise en place d’un idéal du moi que de l’intériorisation des contraintes extérieures » les filles bénéficient de l’image de mères qui assument vie familiale et  professionnelle, aident davantage au  travail scolaire, s’investissent dans les associations de parents, etc. Cette identification est donc ancrée dans une réalité quotidienne ; à l’inverse, « la masculinité héroïque se joue sur un mode imaginaire », les pères étant toujours moins présents et investis au quotidien pour les enfants.  

    « La famille moderne offre donc aux filles des conditions d’identification et donc de construction de soi riches et cohérentes ; et elle laisse les garçons errer entre plusieurs mondes. »

    La conclusion, après ce détour « du côté des filles » est un peu paradoxale. La comparaison laisse apparaître en creux un malaise « du côté des garçons », qui attend son étude. On lit en effet :

     « La démarche des filles apparaît plus légère. (…) Le plaisir qu’elles prennent à se construire comme femmes ne se réduit pas à l’intériorisation de contraintes ou à la résignation au destin. Dans l’accession à l’âge adulte, les filles s’aventurent plus volontiers sur les territoires masculins sans être le moins du monde rabrouées par les adultes en charge de leur éducation (…) L’identification à la mère bénéficie de l’équilibre, difficile mais productif, que les femmes des générations aînées ont établi entre la vie professionnelle, la vie familiale et le renouvellement des tâches d’éducation par l’accès aux biens culturels. »

    «L’évolution en cours n’a pas mis un terme à la domination masculine, mais la construction de cette dernière se paie souvent d’un prix très lourd (…) En dépit des plus grandes marges de liberté octroyées à leurs fils par les parents, la construction de l’identité masculine s’opère sous des contraintes sociales, invisibles mais très exigeantes. (…) Les garçons sont soumis à des injonctions paradoxales. D’un côté on les incite à extérioriser leur potentiel de révolte et d’énergie dans le sport et les activités physiques. Mais d’un autre, la suprématie masculine n’est vraiment reconnue que par l’excellence scolaire. Si bien que ceux qui n’arrivent pas à résoudre de manière satisfaisante cette contradiction, en particulier parce que la désindustrialisation n’offre plus de perspectives ou d’exutoire à la mise en œuvre de ces énergies viriles, se retrouvent marginalisés ou exclus. »

    Sans minimiser les inégalités sociales radicales qui perdurent entre hommes et femmes dans notre société, la lecture de ce livre m’amène à une interrogation inattendue. N’est-il pas plus difficile, à présent, d’être un garçon, que d’être une fille, de se construire une identité de genre homme qu’une identité de femme ?

    Et vous qu'en pensez-vous?


     

     

    Toutes les citations sont extraites de C. Baudelot et R. Establet,  Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés, Nathan, septembre 2007. C’est moi qui souligne.


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  • Commentaires

    1
    A!
    Mardi 27 Décembre 2011 à 23:04

    Pauvre homme, certes il est difficile d'être un homme, un vrai, qui soit confronté chaque jour à l'intelligence culturelle féminine. Mais qu'en est-il réellement de la libération des petites filles? Bien sûr les parents bienveillants et soucieux de promouvoir l'égalité des sexes et  l'émancipation de la femme ne leur refusent plus l'accès aux petites voitures, bus,  garages, soldats, déguisements de chevalier ou d'indien. Mais les petites filles s'autorisent-elles à jouer au foot le midi avec les garçons quand leurs copines ne sont pas là à l'heure de la cantine? Pas toujours. Ne se sentent-elles pas blessées, dénigrées quand ces mêmes petits garçons se moquent d'elles parce qu'elles sont "nulles au tennis" et obligées de jouer contre eux? Ce sont toujours les mêmes représentations qui perdurent; "ma" fille âgée de sept ans dit aussi que ce sont les petites filles qui réussissent le mieux à l'école, même si "ça dépend quand même des personnes".

    Mais ces jeux, sportifs et violents encore réservés aux garçons, encore, ne sont-ils pas précisément ceux qui préparent le mieux l'individu à se battre dans le monde capitaliste? Ne faudrait-il pas, au lieu de plaindre les petits garçons à qui on ne réussit à donner ni le goût d'écrire ou ni celui de coudre, apprendre aux filles à se battre et à taper dans des balles? Sûrement que si. Sinon comment expliquer que ces flemmards de garçons, une fois sortis du lycée et devenus des hommes, des mecs, soient encore ceux qui gagnent le plus d'argent, ceux qui dirigent les plus grandes entreprises, ceux qui décident de lapider les femmes adultères à certains endroits, en bref ceux qui ont le pouvoir et l'argent, partout ou presque? Ils continuent de dominer massivement les femmes, et en plus il faudrait s'apitoyer sur leur petite enfance et déplorer l'éducation qu'ils ont reçue? Je trouve ça un peu violent, mais je suis une femme et j'ai bien reçu une éducation de petite fille qui aime lire. La question serait plutôt: dans ce monde aujourd'hui, tel qu'on le connaît, l'éducation que l'on continue de  donner aux petites filles leur permettra-t-elle de jouer à égalité avec les hommes plus tard? Ou alors, mieux, pour changer le monde, ne faudrait-il pas donner aux petits garçons l'éducation que l'on donne aux petites filles? Les hommes seraient-ils donc bien les seuls garants de ce système (à quelques exceptions près, homme ou femme d'ailleurs)?

     

     

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    2
    guillaume- Profil de guillaume-
    Vendredi 30 Décembre 2011 à 07:39

     

    Chère A !

    Les sociologues montrent bien que les filières d’excellence, qui mènent aux postes à responsabilités (et donc à hauts salaires) restent prises d’assaut par les garçons. On ne leur offre quand même pas les meilleures places juste après le lycée, ils doivent même faire les études qui y mènent, mais curieusement ils restent majoritaires dans ces études-là. Mais à l’autre extrémité, ils fournissent les gros bataillons des exclus du système scolaire, sortis sans qualification aucune et la majeure partie de la population carcérale. On ne peut pas parler de la situation des hommes dans notre société comme si elle était homogène du seul fait de leur sexe. La domination masculine ne se résume pas à l’élitisme social.

    La « plainte » n’est pas davantage l’objet du livre de B et E que de mon article. Est-ce une sollicitude bien féminine qui te pousse à entendre une « plainte » dans cette mise en question de l’éducation des garçons?

    Je ne comprends pas le procédé qui consiste à disqualifier cette interrogation en la retournant en apitoiement des hommes sur eux-mêmes. C’est pourtant dans la logique même du féminisme !

    Qu’est-ce qui autorise un petit garçon à se moquer d’une petite fille ou à refuser de jouer avec elle ? Qu’est-ce qui pousse des hommes à lapider des femmes ? (même si le raccourci que tu suggères me paraît facile.)

     Ce n’est pas seulement leur représentation des femmes, ou de la femme, c’est aussi, et avant tout peut-être, la manière dont ils se construisent en tant qu’hommes. Les deux sont liés, CQFD, mais le petit garçon ne choisit pas plus que la petite fille les normes de genre de la société dans laquelle il doit s’insérer. 

    Le féminisme a beaucoup lutté contre la représentation que les hommes avaient des femmes, ou qu’une société phallocratique leur forgeait (puisque les femmes s’identifiaient aussi à ces représentations.) Mais qu’a-t-il fait pour s’en prendre à la représentation que les hommes, et les femmes, se font de l’identité masculine ?  

    Tout se passe comme si nombre de féministes n’étaient pas prêtes à se passer de l’image de l’homme dominateur, et sans doute pas uniquement parce qu’elle est centrale dans la critique de leur condition…


     

    3
    Jean Delapin
    Vendredi 30 Décembre 2011 à 10:25

    Moi qui suis "un homme un vrai", avec peu de muscles mais beaucoup de poils, je suis très content de mon chromosome Y. Même si cette supériorité native me confère la tâche quelquefois pénible de diriger le monde. Même si, pouvant monter plus haut, je puis tomber plus bas.

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