• Peut-on parler de morale sexuelle ? Ne s’agit-il pas d’une alliance paradoxale de mots de sens contraires (oxymore) ? La sexualité n’est-elle pas l’ennemie de toute morale, comme le montrent l’œuvre de Sade aussi bien que celle de Freud ? La morale, n’est-ce pas le nom que l’on donne à cette forme d’emprise culturelle qui tente de contrôler et réguler les pulsions sexuelles, pour leur donner une expression compatible avec la vie en société ? La morale n’est-elle pas un aspect de la construction de la sexualité humaine en tant que telle ? Y a-t-il, à la réflexion, d’autre morale que sexuelle, l’expression « morale sexuelle », n’est-elle pas plutôt une tautologie ?

    La morale est étymologiquement affaire de mœurs, de conduites sociales prescrites, d’habitus culturels. La « brigade des mœurs » en France, a longtemps désigné une section de la police chargée de surveiller… la prostitution ! Car celle-ci a longtemps été tolérée comme une soupape nécessaire à la préservation de l’ordre établi. En ce sens, la morale qui condamne la sexualité pour la maintenir hors de vue est synonyme de mensonge, d’hypocrisie sociale.

    Historiquement, la morale sexuelle a une justification religieuse. D’après certains historiens, la nôtre serait héritière de la Renaissance. En effet, cette époque est traversée par l’affrontement entre la réforme et la contre- réforme. Protestants et Catholiques entrent en compétition pour imposer un modèle de vie austère, plus conforme à une lecture idéale du texte biblique. L’évolution de l’activité économique urbaine, soumise au rendement et au profit, permet, voire produit, cette évolution des mentalités. De nouvelles formes de contrôle social s’installent. L’enracinement biblique de nouvel ordre moral pousse à couvrir de honte tout ce qui a trait à la sexualité. Même si au fil des siècles, la notion de péché s’estompe, le sentiment de culpabilité, lui, perdure.

    « Culpabilité », ça veut dire quoi ? Honte, gêne, embarras ( à parler, dire, montrer) mais aussi ostentation, étalage,  injonction, défi… (tous les comportements possibles d’un accusé au tribunal, si l’on accepte que c’est l’accusation – d’où qu’elle vienne - qui fait le coupable.)

    Comme la guerre avec le meurtrier, il faut un contexte qui transforme le crime en devoir ( l’acte réprouvé en acte valorisé.)

    L’horizon sexuel  reste donc le couple d’essence familiale (qu’il soit homo ou hétéro.) En ce sens, l’amour libre n’existe pas. Mais les chaînes sont peut-être plus excitantes…


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  • Dans Eros et civilisation, Herbert Marcuse tente de montrer que le principe de réalité, conçu par la psychanalyse par opposition au principe de plaisir, a été abusivement identifié avec un principe de rendement, historiquement nécessaire au développement de l’activité économique. Or, selon lui, ce principe de rendement impose une « surrépression » de la libido.  Il estime, en écrivant ce livre, que les conditions sont réunies pour construire une utopie sociale qui ne serait plus fondée sur le principe de rendement et donc une morale répressive de la sexualité. L’énergie libidinale, (Eros, qui ne se réduit pas pour lui, simplement à "la sexualité") trouverait à s’investir dans les relations sociales. 

    Les événements qui ont remis en cause « l’ordre moral » (encore une tautologie ?) des démocraties occidentales dans les années 60-70 ont en effet voulu conjuguer libération des mœurs et progrès social (dans le sens de l’épanouissement de l’individu.)

    Et depuis 40 ans, nos régimes libéraux se sont employés à associer liberté sexuelle et liberté du marché, la déréglementation s’accommodant bien d’un certain dérèglement des mœurs, dans la mesure où il était mis au service d’intérêts privés. L’explosion des chaînes de télé privées dans les années 80 n’est-elle pas le facteur exponentiel du devenir voyeur du téléspectateur auquel on donnait enfin – mais à l’écran seulement - « ce qu’il voulait » (action, cul et fric.)

    Les nouveaux impératifs économiques exigent non plus de cacher mais d’exhiber la sexualité, une certaine sexualité, symbole d’un ordre faussement nouveau car imaginairement « hétéronormée », phallocentrique, patriarcale.

    Publicité, films, séries, jeux télévisés, émissions de radio, jeux vidéo, littérature, bd, tous ces vecteurs peuvent servir à la mise en scène d’une sexualité explicite, dont la représentation bien réelle pourrait elle-même être devenue répressive.

    Reste à expliquer comment la servitude naît dans la « liberté. » Pourquoi le désir gît dans la domination. 


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