• Média-paranoïaque?

    au lieu d'une réelle analyse des causes des symptômes, on se retrouve au final avec une simple dénonciation.

     « J'ai essayé de faire un livre nuancé, alors c'est très compliqué. » a déclaré « l'un de nos plus grands professionnels » du journalisme.

    J'ai donc saisi l'occasion de me faire une idée sur un livre que je ne lirai pas, sauf si... ;

    Ce jour-là, 30 janvier 2009, avait lieu une réunion publique pour défendre « la liberté et le pluralisme des médias à l’appel de Charlie Hebdo, des Inrockuptibles, de Marianne, du Nouvel Obs ou encore des sites rue89 et Médiapart… » (selon le site de l'émission)

    Ali Badou, présentateur de l'émission sur France Culture avait trouvé plus judicieux d'inviter le directeur de publication du journal « de gauche » qui avait refusé de signer cet appel : Libération.

    La réflexion légitime du présentateur ayant manifestement été que celui qui refuse de s'y associer a plus de choses à dire que ceux, plus nombreux, qui tombent d'accord pour trouver la situation préoccupante. Il s'avère surtout que Laurent Joffrin a consacré un livre entier à la question.

    Livre dont le titre, Média_ paraonoïa, nous signale, en effet, que l'inquiétude d'une bonne partie de ses confrères est exagérée.


    Selon l'auteur, le néologisme du titre désigne « une pathologie de la critique des médias », c'est-à-dire « un type de discours contre les médias » qui reposerait sur quatre affirmations qui sont autant « d'idées reçues » :

    _ Tous les médias sont tenus par les pouvoirs économiques

    _ Tous les médias manipulent les gens

    _ Tous les médias conspirent dans une pensée unique

    _ Tous les médias ont un pouvoir énorme sur l'opinion.


    L. Joffrin entend donc se livrer à une critique de la critique des médias, comment procède-t-il donc?

    D'abord par réduction, selon sa définition critiquer les médias c'est être contre eux, en être l'ennemi.

    Ensuite en choisissant des mots, « paranoïa », « pathologie », pour psychologiser l'ennemi identifié, d'emblée déclaré « fou », « malade », - on appréciera cette façon effectivement « nuancée » de discuter les arguments adverses.

    La première illustration proposée aux auditeurs est d'ailleurs celle des forums et associations qui défendent la thèse du complot sur les véritables auteurs des attentats du 11/09/2001. Pourtant ceux que visent le livre, d'après la quatrième de couverture, ce sont plutôt « les universitaires et les politiques en mal de notoriété ou de boucs émissaires. » Art consommé de l'amalgame, qui ne manquera pas de discréditer tous ces mauvais esprits critiques.

    Le présentateur ne s'y trompe pas, qui fait immédiatement référence aux « thèses de Bourdieu .»

    Or, que disent-elles les thèses de ce sociologue, dont le nom est sans doute bien plus connu en France et à l'étranger que celui de Laurent Joffrin? Qu'il n'est pas réellement le directeur de la publication de son journal? Qu'il n'est pas l'auteur de son édito?

    Non, elles consistent (nous rappelle Ali Badou) en l'idée vulgarisée selon laquelle un certain habitus conduit les journalistes à reproduire le discours dominant.

    Idée fondée sur une observation générale. Journalistes et hommes politiques sont souvent formés dans les mêmes écoles (Sciences Po, en premier lieu). Ne peut-on en conclure qu'ils en sortent avec des méthodes d'analyse du jeu politique et une représentation de ses enjeux assez proches? Et que leurs métiers respectifs les amenant à se cotoyer et à fréquenter les mêmes milieux, ils ont peu de chances et surtout peu d'intérêt à s'émanciper de cette formation intellectuelle comme de ce cercle socio-culturel? Combien de journalistes ont montré d'exemples de cette proximité en s'insérant eux-mêmes facilement dans le jeu politique ou en vivant à la ville avec un homme ou une femme politique?

    Oubliez tout ça messieurs-dames les comploteurs, si vous perdez la raison c'est que vous ignorez « qu' il y a des règles de fabrication d'un article de journal comme il y a des règles de fabrication des chaises. »

    Platon n'aurait pas dit mieux! Même s'il se serait ainsi exposé à la question de savoir qui édicte ces règles. Mais il est vrai que de nos jours, une chaise comme on trouve à Ikea ou à la Roche-Bobois, est un modèle de réalisation témoignant en faveur de l'indépendance d'esprit et de la recherche de la vérité.

    Pourquoi diable défendre l'objectivité de son travail jusqu'à se hasarder à des comparaisons aussi absurdes?

    « C'est que les gens pensent que j'arrive le matin et que je téléphone à Rotschild! » (actionnaire principal du journal)

    Est-ce bien « les gens » qui pensent ça ou L. Joffrin qui pense que les gens pensent cela? Et, ne pouvant décrocher son téléphone pour s'en plaindre auprès de son actionnaire principal, il écrit un livre sur les "médiaparanoïaques" qui lui en veulent à lui, le journaliste, parce qu'ils n'ont pas compris qu'en démocratie seuls les citoyens riches peuvent financer les journaux, que c'est un facteur constitutif de l'histoire de la presse libre, et qu il est donc « pathologique » de s'interroger sur les effets que ce financement peut avoir sur le contenu des articles.

    Le pire c'est que des gens qui pensent comme ça, à l'entendre, il y en partout, c'est même pour cela que le directeur de Libé a écrit son livre, car il a "souvent" à répondre à leurs arguments lors de réunions publiques. Ces extrêmistes de la critique le poursuivrait-il, Laurent Joffrin? Et quelles sont les motivations de ces gens qui adhèrent au « poujadisme branché » de la critique des médias? (Le poujadisme est historiquement plus un mouvement populaire de petits commerçants d'extrême droite qu'une invention de l'intelligentsia de gauche mais qu'importe, on sait bien que les « extrêmes » s'équivalent) L'auteur du livre le sait, ils se donnent d'une part une « caution sociale et intellectuelle », et ils expliquent surtout ainsi d'autre part « pourquoi leurs thèses ont un caractère minoritaire, pourquoi les gens ne les suivent pas, parce qu'ils ne veulent pas admettre qu'ils ne disent que des bêtises .» Il faut comprendre que cette fois-ci les gens dont il est question ne sont plus ceux qui posent des questions maladives mais le bon peuple qui dans sa majorité confuse et indivise ne peut, par définition, par « suivre » lesdits minoritaires. En somme les médiaparanoïaques sont une minorité d'intellectuels qui « expliquent leurs déconvenues par une conjonction médiatique négative », comprendre qu'ils critiquent les médias car « les médias ne font pas droit à leurs thèses. » Thèses qui consistent précisément à critiquer les médias...

    Visiblement la critique de cette critique tourne en rond. Et puis s'il s'agit d'un petit groupe d'extrêmistes auxquels la majorité des « gens » ne prêtent pas attention, pourquoi leur consacrer un livre? Mais si ces interrogations sur les médias reviennent souvent dans les débats publics, sont-elles si minoritaires ?

    Le problème de L. Joffrin ce serait peut-être que ces critiques, certes produites par des universitaires, des écrivains, des journalistes  et des artistes en tout genre rencontrent effectivement un écho dans l'opinion publique et qu'elles contestent la position dominante des médias institutionnels dans la diffusion des informations et l'analyse de l'actualité. Or, ce grand professionnel du journalisme ne conçoit pas l'exercice de son métier autrement que dans une position d'initiative. L'éthique d'un journal reposerait par exemple sur le droit de réponse d'une personnalité mise en cause. « Il faut donner les sources tout en donnant le temps à la personne concernée de se défendre » , « il y a un droit de réponse » martèle-t-il au nom de la présomption d'innocence, «  les gens ont le droit ... » De répondre, on l'a bien compris. D'attaquer, non. Toute remise en cause révèle une intention hostile, toute critique une atteinte, qui ne peut venir que d'une position extrême, violente, dangereuse, « paranoïaque. »


    Sauf qu'au lieu d'une réelle analyse des causes des symptômes, on se retrouve au final avec une simple dénonciation. Quant au ressort psychologique qui sous-tend la critique de ces critiques, n'est-ce pas la jalousie supposée chez ceux qui contestent la place des "grands journalistes" car ils la leur envient, la convoitent? La contestation d'un pouvoir n'a pourtant pas grand chose à voir avec la paranoïa. La crainte de se voir renversé, si elle excessive, en revanche... peut y mener!

    Le titre de ce livre et les explications de son auteur nous livrent en fait un bel exemple de cette attitude qui consiste à reprocher aux autres, ce qui nous obsède et nous travaille, et nous fait agir, à notre insu.

     

    P.S. : Si certains d'entre vous lisent ou ont lu le livre, qu'ils n'hésitent pas à me dire s'il vaut mieux que la promotion qu'en fait son auteur.


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