• La foi en l'autre, qu'il reste le même.

    La relation amoureuse s'établit ainsi sur un contrat tacite qui sous-tend l'identité des contractants. « Tu m'aimes » signifie bien sûr « tu m'es fidèle »

    L'amour fusionne deux individus en une entité supérieure, le couple, marié ou non, dont la fidélité est un des traits définitoires. La mise en couple ( que cet ac-couplement soit hétéro- ou homosexuel) se vit comme une relation d'appropriation réciproque - et consentie.

    Pourquoi parler d'appropriation, là où on parle plus volontiers d'engagement? Le lyrisme amoureux (celui qu'on trouve dans les poèmes et les chansons) exprime une possession, ressentie sur le mode passif : on est possédé du sentiment amoureux. On n'a pas de prise sur cette emprise, elle nous tombe dessus (comme un coup de foudre), nous envoûte, etc.

    L'engagement, lui, relève du contrat tacite que scelle le couple. Il s'agit d'assurer l'autre que c'est lui (elle) qui nous possède. Comment possède-t-on quelqu'un? En l'engageant à rester fidèle à l'image qu'on a de lui.

    Regardez les photos autour desquelles vit ce vieux couple dont la solidité fait l'admiration de tous : ce sont des photos d'eux, jeunes, lorsqu'ils se sont connus. Le secret de longévité de leur complicité, c'est d'avoir maintenu présente cette image à leurs yeux pendant toutes ces années, « qu'on n'a pas vues passer. »

    Que le devenir n'advienne pas pourrait être le serment des en-couplés.

    Un événement (accident, maladie...) altère physiquement ou psychologiquement l'un des deux partenaires : c'est une crise qu'ils surmonteront à condition de maintenir quelque chose de cette image initiale. Le couple est le cadre, photographie ou miroir, dans lequel ils se sont vus comme le reflet d'un couple. La réciprocité du sentiment qui les unit est un jeu de miroirs complexe, où sous prétexte d'y regarder en même temps, chacun croit voir le même reflet des deux que l'autre. « Comment as-tu pu (me) faire ça? » « Je ne te reconnais plus! » sont les énoncés qui accusent la rupture de cette double fascination spéculaire.

    La relation amoureuse s'établit ainsi sur un contrat tacite qui sous-tend l'identité des contractants. « Tu m'aimes » signifie bien sûr « tu m'es fidèle », tu es fidèle à l'idée de couple que nous avons en commun et qui définit notre appartenance à un groupe, à une culture, à un système de valeurs.  Mais cela signifie plus essentiellement que tu es fidèle à toi-même, que tu as une identité stable sur laquelle je peux adosser la mienne, que tu es égal à la somme de tes caractéristiques (sociales, familiales, professionnelles, personnelles, etc.) sur la connaissance desquelles je peux compter, grâce auxquelles tout le monde sait de qui je suis l'homme ou la femme, par qui je suis aimé(e) et la vie que nous menons ensemble, selon cette croyance, nous unit. Tu es unique, je suis unique, l'unicité de nos identités conditionne notre union. Ainsi, le sentiment qui nous unit restera identique à lui-même.

    Le dogme des trois unités : un amour unique, pour une personne unique, identiques à eux-mêmes dans le temps.


    Et l'adultère dans tout ça?

    Toute foi doit être mise à l'épreuve, c'est pourquoi la jalousie apparaît comme un sentiment naturel, voire comme un signe de bonne santé de la vie de couple (tant qu'elle ne dépasse pas les bornes qui trahissent sa logique de propriétaire). La jalousie, c'est la pensée que cette croyance soit fausse, que tu m'aimes ne soit pas toujours dit d'un je même. Bref, c'est le doute qui saisit le croyant. L'infidélité consommée en actes demeure plus grave que la simple pensée et réactive son lexique religieux. On a commis une faute (le péché de chair) envers l'autre, au moment des aveux (confessés) il aura à pardonner (absoudre) ou non (il peut faire condamner,  excommunier le trompeur, expier l'adultère...) D'ailleurs, les forces inquisitrices qui extorquent l'aveu se sont sécularisées. On peut engager un détective privé pour arracher à l'autre la preuve qu'il fournira à son insu, (presque à son corps défendant, puisqu'il se cache). La photo du « flagrant délit » permettra de le confondre (au besoin en public) et même de le faire condamner (en divorçant à ses torts, si on est mariés.)

    Remarque. Faire « filer » quelqu'un, le faire photographier, filmer, écouter, en secret, n'est-ce pas une atteinte à la vie privée, au respect de la liberté d'agir de l'individu? Au nom de quoi peut-on autoriser (puisque c'est légal) à mettre ainsi les faits et gestes de quelqu'un sous surveillance? Pourquoi accorder un tel pouvoir à une personne sur une autre? 

    L'infidèle, lui, est à l'heure du choix, il doit se décider, faire pénitence, ou changer de vie, se convertir à un autre amour. Il y a du monothéisme au fond de la monogamie. La fidélité comme preuve d'amour repose sur le postulat qu'on ne peut (sincèrement? loyalement? naturellement?...) aimer qu'une personne à la fois. Que l'amour naisse de la rencontre avec l'autre, et que puissent naître de rencontres simultanées des sentiments simultanées qui ne s'effacent pas les uns les autres,  qui ne se font pas concurrence ; qu'on aime différemment des êtres différents, que l'amour pour (et d'une) même personne soit lui-même multiple, et variable (réversible par exemple, qui n'a jamais haï celui ou celle qu'il ou elle aime?); ces réalités affectives que chacun(e) a pu éprouver ne sont-elles pas déniées par les normes sociales et culturelles? Dénier signifie qu'on fait de la pluralité des sentiments et de l'ambivalence du désir une réalité traumatisante pour le sujet. Unique et exclusif sont les termes du contrat amoureux qu'il signe pour garantir son identité. La polyvalence du désir, la déclinaison du sentiment amoureux, il aura à les combattre ou à se battre pour  trouver le moyen de les vivre (dans le secret, en images...) Le fidèle est ainsi amener à voir le déni comme une épreuve (qui renforcera paradoxalement sa foi dans le déni même) celle de la tentation.

    A SUIVRE.


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