• La maman et la putain sont deux tours jumelles.

    On connaît le dicton qui énonce, en même temps qu'il l'épingle, ce machisme primaire  "Toutes des salopes... sauf ma mère!"

    La loi symbolique à laquelle obéit le couple ordonne autant la fidélité que l'infidélité. Comment rationaliser cette double injonction contradictoire? Grâce à la casuistique qui oppose le désir (sexuel) au sentiment (amoureux. ) Même le discours qui a le plus explicitement constitué la sexualité comme son objet, la psychanalyse, distingue entre "le courant tendre" et "le courant sensuel." L'amour serait la forme cultivée, culturelle, civilisée, sublimée d'une pulsion sexuelle sommaire, d'un instinct persistant, auquel chacun(e) serait susceptible de se laisser aller... Comme si tout désir (quelque soit le qualificatif dont on l'affuble) n'était pas, en tant que tel, en tant que désir, culturellement, imaginairement, fantasmatiquement construit.

    Comment le désir est-il construit? Par des archétypes imaginaires, des imagos, des figures fictives.

    Je précise que cette distinction entre le sentiment (amoureux) et le désir (sexuel) procède du binarisme hétérosexuel. (Cela n'impliquant pas qu'il s'y limite.) L'ordre hétérosexuel définit traditionnellement, naturellement diraient certains, l'homme et la femme comme des identités sexuelles opposées. (actif/passif; énergique/calme; fort/faible; dur/tendre; rationnel/sensible; lointain/proche; extérieur/intérieur,etc.) Aussi l'étudierai-je du point de vue de l'homme.

    Prenons les deux figures qui incarnent le mieux cette opposition de nature dans l'attirance pour "le beau sexe," celles de la maman et la putain. 

    Qui niera que cela soit les deux visages de la femme, pour l'homme, dans l'ordre hétérosexuel? La putain, ce n'est pas seulement le fantasme de la femme à disposition contre de l'argent. C'est, plus profondément, le mythe de la femme qui se soumet au pouvoir (sexuel) de l'homme, se fait objet (et témoin) de sa puissance, parce qu'elle aime ça! "ça" c'est donner du plaisir aux hommes, répondre à leurs désirs comme à un besoin (par où la mère se conjoint inconsciemment à la pute.)

    On connaît le dicton qui énonce, en même temps qu'il l'épingle, ce machisme primaire : "Toutes des salopes... sauf ma mère!"

    La mère, objet interdit du désir oedipien incestueux, reste pure de toute atteinte sexuelle. Le succès du christianisme, qui s'est imposé en tant que religion officielle d'une vaste partie du monde, tient sans doute à cette fiction originale délirante de la mère vierge, celle de Jésus Christ, "fils de l'homme." Fantasme absolu de garçon (que la mère se plaît à entretenir.) La mère sacrée (étymologiquement "intouchable") devient un objet sexuel interdit pour tous. Même le père, qui devient l'autre nom de Dieu. Père sublimé, qui se tient à distance, qu'on invoque pour exaucer des prières :  "Mon père qui êtes aux cieux..."

    "Fils de pute", est sur terre l'insulte machiste par excellence. (La pute, c'est le contraire de la mère.)

    Mais la putain, elle, que dit-elle? Dans le film de Jean Eustache auquel le titre de cet article fait référence, elle s'adresse à Alexandre  et Marie (prénom de la mère de Jésus ) à la fin du film, dans un émouvant monologue.

    A voir et écouter là :

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    Cet extrait a été mis en musique par Diabologum. Musique et montage des images du film, là  :

     

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    Monologue romantique d'un être déchiré qui met à nu la putain, dans un dévoilement gradué de son intimité qui aurait l'effet inverse d'un effeuillage (mise sous tension graduelle soulignée par l'orchestration de Diabologum.)

    Alors qui se cache derrière le masque de la putain? Quel sujet  produit ce discours? Ce monologue final qui sonne comme un discours de vérité, et même "des quatre vérités", que la putain adresse aux gens normaux (le couple Alexandre-Marie), ce discours qu'elle leur tient la constitue en gardienne du temple (du couple éternel.)

    D'une part, la putain sur-valorise la fidélité, puisqu'elle prétend que cette conduite doit régner jusque dans l'imaginaire, jusque dans les rêves, jusque dans l'inconscient : la femme qui rêve de se faire baiser par un autre, ça c'est une pute  nous dite-elle. Les vraies putes sont les femmes qui trompent en pensée, qui se mentent à elle-même, se sont vendues contre une situation, par confort, voire par conformisme social. Le sexe, "les histoires de cul", sont, eux,  dévalorisés.

    D'autre part, la conception de l'amour qu'elle défend, qui passe par la volonté de faire un enfant, joue la figure opposée à la sienne, qui lui tend son miroir. Car l'homme qui voudrait lui faire un enfant la verrait non plus comme pute, mais comme mère.

    Le texte du monologue expose peut-être là le noeud de l'affaire. Faire un enfant, faire l'amour pour faire un enfant, peut être l'occasion pour un homme de voir une autre femme (et pas n'importe laquelle, celle avec qui il baise) devenir mère. Occasion cruciale de désacraliser l'image qu'il a formé de sa propre mère, de se dé-sidérer ou de se réconcilier avec l'ombre portée de la femme que toute mère est aussi. On n'est pas mère, on le devient. Une mère reste une femme. Et toutes les femmes (qui ne sont pas mères) ne sont pas des putes. La "salope" n'existe pas. La virilité vacille. Tant mieux!

    Mais elle ne tombe pas toujours de son socle. Le risque c'est de prendre la reproduction à la lettre. Si l'homme, pour devenir père s'identifie à son propre père, il risque bien d'identifier la femme qui l'a mené à cette identification ... à sa propre mère! (L'inconscient fait mal les choses.) Il la délie ainsi du noeud de désirs auquel il s'était pris tous les deux. Elle sera la pelote pour l'hiver. Il ira tirer des fils ailleurs. Et le nombre de femmes qui se saisissent de cette pelote qui ne les lie plus... qu'à leurs enfants!

    La répartition phallocratique et misogyne des rôles a la vie dure, y compris chez les femmes.

    Je voudrais ici répondre à l'objection que certaines n'auront pas manqué de me faire. A savoir qu'interroger la question de la fidélité dans le couple et  son lien avec l'exploration du désir et la dimension érotique de l'individu serait bien « un truc de mec », quand les femmes auraient d'autres urgences à traiter : accomplir leur libération en se libérant davantage du temps que représentent l'entretien du foyer (dont la femme reste souvent la force d'attraction affective et le centre  de décision logistique) pour en consacrer davantage à leur travail ou à leur épanouissement personnel.  L'égalité de traitement (professionnel et familial), voilà les combats actuels!

    L'argent et une meilleure répartition des tâches  domestiques libèrent du temps en effet. Mais du temps pour quoi?

    Le temps n'est-il pas venu pour les femmes de s'assumer pleinement comme des êtres de désirs, d'être à l'initiative dans l'exploration  de leur dimension érotique personnelle et d'en faire une priorité vitale? Pourquoi  toujours en faire une prérogative « de mecs »? N'est-ce pas reconduire le préjugé du rôle actif de l'homme dans la sexualité ? Et se réserver les préoccupations domestiques, fût-ce pour chercher à s'en libérer?

    Il est vrai que bien des hommes ont tendance à prendre leur femme, comme leur mère, pour une boniche (et une nounou.) Mais combien de femmes, et de mères, se complaisent-elles à ce rôle? Si nous le savons tous, arrêtons le jeu de massacre (la femme pleine de rancune, en attente de reconnaissance, l'homme qui se détourne avec mépris et va voir ailleurs )

    On entend même dire que l'homme serait un être désirs et la femme plutôt un être de devoirs.

    Evidemment, dans sa massivité, une telle opposition ne décrit pas une réalité psychologique particulière. Dire "je suis un homme" ou "je suis une femme" revient à se reconnaître certains désirs et certains devoirs sur un mode différentiel. Pour gagner du temps, l'homme rognera plus facilement sur les contraintes domestiques, la femme sur son investissement professionnel, comme le prescrit leur identité sexuellement, culturellement, définie.

    Je pense que les femmes ne se libéreront jamais du sentiment d'être le dernier recours familial ( notamment pour les enfants qu'elles élèvent avec un homme) tant qu'elles n'inverseront pas les priorités mêmes de leur lutte et de leurs critiques pour s'affirmer avant tout comme  individu distinct (aussi distinct des enfants qu'un autre, c'est-à-dire que l'homme),  un être de désirs et de plaisir, prête à les imposer et à les rechercher.

    Avec cet homme-là.

    Et d'autres.


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